Chaque enfant des Îles naît dans le fracas du tonnerre. Il naît dans le claquement des volets oubliés, dans le grondement des averses et l’éclat d’une déferlante sur la côte. Un grand pin, une corniche ou un morceau de falaise s’effondrent à chaque poussée de la mère en douleur. Animé d’une volonté propre, mon pays tout entier s’y met pour engendrer cette nouvelle âme. Certains disent que nos femmes accouchent en silence. C’est évidemment faux. Ce n’est qu’après la naissance et ses affres, en enlaçant leur nouveau-né, que les mères de mon pays se taisent. Elles contemplent les yeux dorés de leur enfant avec un équilibre de tendresse et de regret. C’est qu’elles viennent de donner vie à un autre loup en laisse, attaché au cou par cinq siècles de servitude. Comme ailleurs, nos enfants grandissent. Ils peuvent mener une vie tranquille, répéter les mêmes gestes chaque jour sans jamais ramasser un pavé pour le lancer au visage du destin. Mais, jusqu’à leur dernier souffle et en ignorant pourquoi, ils se rappelleront le vacarme puissant de leur naissance, quand les montagnes, la mer et le ciel œuvraient à les envoyer sur Terre. Lorsque j’entendis cet écho pour la première fois, j’étais une gamine de dix ans, pourchassée par d’innombrables ennemis sur les routes de mon pays occupé. Cassandre m’a souvent dit d’écrire. Pour raconter ma vie, notre vie. Ce que fut le monde avant l’orage.