Qu’ont en commun Mary Travers, dite La Bolduc, aujourd’hui considérée comme la première autrice-compositrice de la chanson québécoise, Rudy Vallée, qui a perfectionné l’art du crooning à Broadway et à Hollywood, et le directeur de tournée Jean Grimaldi, qui a fait connaître Alys Robi ou Olivier Guimond fils dans tout le Nord-Est américain ? Tous les trois entretiennent des liens étroits avec les communautés issues d’un siècle de migration canadienne-française vers la Nouvelle-Angleterre. Tous les trois, artistes populaires eux-mêmes migrants ou descendants de migrants, sont des figures subversives, nomades, qui s’opposent au mode d’être et de pensée sédentaire en parcourant les routes qui vont de Montréal à New York. Mille après mille raconte tout autant l’histoire de ces artistes que celle des familles ouvrières qu’ils ont diverties et pour qui la mobilité était un mode de subsistance et d’existence, voire une culture, une identité. Plus précisément, c’est la « communauté imaginée » canadienne-française outre-frontière qui apparaît ainsi modulée par le contexte technologique et médiatique – la démocratisation de l’automobile, la popularisation du disque, de la radio, du cinéma, de la télévision –, lequel mène à l’essor de Travers, de Vallée et de Grimaldi. L’historien Pierre Lavoie propose ici une fascinante enquête sur la mémoire publique des francophones du Nord-est américain, illustrant l’importance de la célébrité, des médias et de ce qu’on nomme souvent péjorativement la culture de masse dans la création, la popularisation et la circulation des identités et des appartenances au XXe siècle.