Elle tenta de fixer son attention sur la faible lueur qui filtrait par la fenêtre, mais son esprit vagabondait, se perdait en fumée blanche, cette fumée qui fuyait des cheminées de l’usine en se mêlant à celle qui s’évaporait du puits ; car le monstre qui s’y trouvait, pressentit Éloïse, n’était peut-être après tout qu’un brouillard empli d’éther qui enveloppait les petites filles afin de les faire chuter infiniment dans les nuées. Vivant dans les bois avec sa mère et son grand-père alité, la jeune Éloïse ignore que la Grande Crise économique sévit tout autour. Assise sur le rebord du puits, elle règne sur son royaume d’épines et, surtout, surveille le monstre qui s’y trouve, son père, pour qu’il ne s’en échappe pas. Malgré la misère et la faim qui empêchent son corps de grandir, elle n’a qu’un seul désir : apprendre à jouer du violon de son grand-père, même si celui-ci refuse qu’elle touche à l’instrument : « Tu l’auras quand je serai mort. » Tandis que la jeune fille cherche le moyen de faire entendre sa voix et de mettre son corps au diapason du monde qui l’entoure, sa mère, elle, doit se rendre à l’évidence : il faut quitter cette cabane qu’elle déteste et qui s’écroule, il faut trouver une façon de rejoindre la ville, à n’importe quel prix ; le père d’Éloïse ne reviendra pas.